“Paris est une femme, une ville à conquérir”



C’est bien connu, Paris est la ville de l’amour. Mais ce mythe a longtemps dissimulé une réalité plus sinistre. Le film “Paris Romantique, Paris Erotique”, diffusé le 1er mars, à 21h05, sur France 3 le montre avec brio. Rencontre avec sa réalisatrice qui nous dévoile les secrets de la Ville Lumière…

Comment Paris est-elle devenue la ville de l’amour ? Quelle réalité difficile cachait ce mythe ? Maisons closes, garçonnières, cabarets, films hollywoodiens : depuis le Second empire, de nombreux éléments participent à la construction de cet imaginaire, encore présent aujourd’hui dans les esprits. Mathilde Damoisel décortique l’histoire passionnante du Paris romanesque, dans son documentaire à ne pas manquer le 1er mars, à 21h05, sur France 3, Paris Romantique, Paris Erotique. Entretien avec la réalisatrice de ce film captivant, ponctué de formidables images d’archive.

Qu’est-ce qui vous a donné l’idée de réaliser ce documentaire sur Paris, son romantisme, son érotisme ?
Mathilde Damoisel : Ce film a été co-écrit par l’historien Dominique Kalifa (décédé en septembre 2020), et doit beaucoup à ses recherches sur l’histoire des représentations et des imaginaires. Dominique Kalifa avait travaillé sur cette histoire du mythe de Paris comme capitale de l’amour et des plaisirs du monde, y avait consacré un livre, et nous avons eu envie d’en faire un film.
Nous avons donc entrepris d’écrire ce documentaire qui retrace comment, des années 1860 aux années 1960, le mythe de Paris s’était construit et épanoui. 

Vous avez plutôt l’habitude de réaliser des documentaires qui traitent d’histoire politique ou économique. En quoi ce travail était-il différent ? 
C’est très enthousiasmant de travailler sur l’histoire d’un mythe – c’est à dire d’une idée, d’un imaginaire qui dépasse les réalités. C’était un terrain nouveau pour moi, car mes films traitent plus souvent d’histoire politique ou économique. Ici, il a fallu concevoir un récit qui s’appuie aussi bien sur le réel, c’est à dire sur des situations et des personnages qui ont existé, que sur les représentations, c’est à dire les images qu’ont diffusées la littérature, la photographie ou encore le cinéma. Le réel inspire les représentations, qui à leur tour le transforment et s’en échappent. Le mythe ne naît pas de nulle part, il correspond à une certaine histoire de la ville, mais l’image qu’il en donne est forcément outrée, déformée.

“Le mythe de Paris ne concerne qu’une minorité”

Au XIXe et début du XXe siècle, la capitale est le berceau de la liberté sexuelle, alors même qu’à l’époque, l’homosexualité est toujours considérée comme immorale et que les femmes sont loin d’être les égales des hommes. Comment expliquer ce décalage ?
Cette “Vie Parisienne”, qu’a mise en musique sous le Second Empire le célèbre opéra de Jacques Offenbach, raconte une expérience légère et hédoniste de la ville. On vient à Paris pour le plaisir, pour les lumières des boulevards, pour les théâtres et les actrices et courtisanes qui incarnent une Parisienne fantasmée… On parle alors de “faire la noce à Paris”. Cela a existé, et cela a grandement contribué à édifier le mythe de Paris. Est-ce à dire qu’il s’agissait de la réalité de toutes et de tous ? Sûrement pas.
Sous le Second Empire comme sous la IIIe République, l’ordre moral est fermement en place. Les valeurs bourgeoises dominent, et le mariage est le seul horizon sentimental et sexuel des femmes. Celles qui s’en affranchissent sont mises au ban de la société. Finalement, le mythe de Paris ne concerne qu’une minorité, mais c’est elle qui a résolument donné le ton.

“Les femmes ont dû conquérir leur place dans la ville”

Au XIXe siècle, une grande partie des femmes devaient se prostituer pour survivre. Peut-on dire que Paris était la ville de l’amour et de l’érotisme… mais surtout pour le plaisir des hommes ?
Le film expose combien le mythe de Paris repose sur l’objectification des femmes. Il y a très tôt cette idée que Paris est une femme, que c’est une ville à conquérir. Réussir à Paris suppose de séduire une Parisienne… C’est est un fantasme masculin, une idée qu’on se fait, notamment à l’étranger, d’une ville dont les femmes représenteraient le principal plaisir.
Les femmes ont dû conquérir leur place dans la ville. Une anecdote : les cafés sont longtemps demeurés des territoires exclusivement masculins. Sous le Second Empire, ou au début du XXe siècle, une femme convenable n’y allait pas. Celles qui s’attablaient passaient pour des “grues”, sexuellement disponibles. Cela a beaucoup évolué. Kiki de Montparnasse raconte comment dans les années 1920 les femmes devaient toujours porter un chapeau et être accompagnées pour avoir le droit de consommer en salle, à la Rotonde.
A mesure que le mythe de Paris a muté, la place des femmes dans la ville a changé. Nous ne sommes pas au bout de nos peines, mais nous revenons de loin !

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Quel rôle le tourisme sexuel à Paris (remarquable notamment au XIXe siècle), a-t-il joué sur le rayonnement de la capitale dans le monde, de nos jours ?
Il existait effectivement des guides touristiques, en anglais ou en allemand, qui listaient les maisons closes, les maisons de rendez-vous, et qui ont contribué à faire de Paris une destination de “tourisme sexuel” – pour reprendre un terme anachronique qui résume bien la réalité.
Le mythe de Paris s’est écrit, notamment, dans les maisons closes, qui ne fermeront qu’en 1946. Les plus célèbres, comme le Chabanais à la Belle Epoque ou le One-Two-Two, attiraient les élites européennes. Le Prince de Galles était un habitué du Chabanais, et ne s’en cachait pas. Cela a contribué à façonner l’image d’une ville où le sexe est accessible. Cela a aussi donné une image acceptable de la prostitution, légère, voluptueuse et pourquoi pas luxueuse. 

“Paris suscite toujours la rêverie amoureuse”

Aujourd’hui, selon une étude de l’Ifop, Paris abrite plus de célibataires qu’à la campagne (43% contre 33% en province) et plus d’un mariage sur deux y finit en divorce. Peut-on encore appeler Paris, “ville de l’amour” ?
Si l’on regarde la réalité quotidienne des Parisiennes et des Parisiens tout au long de la période que nous couvrons, bien des aspects allaient à l’encontre du mythe de Paris, capitale de l’amour. Paris, c’était aussi la ville des taudis et du logement insalubre, une ville ouvrière où les conditions de vie étaient précaires. Cela n’a pas empêché le mythe de prospérer, et d’infuser. La topographie de la ville forme un décor qui invite à la romance. La lumière sur les quais de la Seine, les marronniers le long des boulevards, les jardins et leurs bancs publics… Je crois que Paris est toujours capable de susciter la rêverie amoureuse, au-delà des contingences du moment.

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Pensez-vous que la crise sanitaire (et donc l’absence de tourisme) puisse ternir l’image romantique de Paris ?
Après la pandémie et des restrictions, on viendra de nouveau des quatre coins du monde se fiancer ou se marier à Paris. Ce fantasme que Paris favorise la rencontre, qu’on y tombe amoureux et qu’on y vit de plus belles histoires est toujours présent, notamment à l’étranger. C’est l’un des moteurs du tourisme. La ville, malgré ses crises et ses tensions bien réelles, charrie toujours cet imaginaire romantique. 

“Audrey Hepburn a imposé un Paris de carte postale”

Quel rôle Hollywood a-t-il joué dans la perception que nous avons de Paris ?
Les productions des années 50-60, avec Audrey Hepburn en tête d’affiche, imposent dans le monde entier un Paris de carte postale, dont les chambres sous les toits, les bateaux Mouche et les quais de Seine sont des promesses de romance.

Sur le plan du tourisme sexuel, d’autres villes européennes semblent avoir détrôné Paris, telles que Prague et ses maisons closes ou Amsterdam et son quartier rouge. La capitale française a-t-elle perdu sa réputation de ville érotique ?
Je crois que le mythe a muté. Le Paris des “petites femmes”, des cabarets et des maisons closes s’est terni, tout particulièrement pendant l’Occupation, quand les autorités allemandes ont entrepris de faire de Paris le “lupanar de l’Europe”. Les maisons closes ont vécu un ultime âge d’or durant l’Occupation, incarnant parmi les pires compromissions de la Collaboration. Le mythe de Paris apparaît alors bien frelaté, fétide.
Et par la suite, il va prendre une couleur différente. Il ressemble plus aux “Amoureux de L’Hôtel de Ville” – la photographie célébrissime de Robert Doisneau – qu’aux néons de Pigalle. Paris érotique fait place à Paris romantique.
La vague féministe et la révolution sexuelle de 1968 ont bouleversé en profondeur les comportements amoureux. Le mythe de Paris, capitale de l’amour, s’est un peu fané. Mais je crois qu’il a durablement façonné l’idée qu’on se fait de la ville. 

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Ne manquez pas Paris Romantique, Paris Erotique, lundi 1er mars à 21h05 sur France 3



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