C’est une scène sidérante qui a beaucoup été partagée sur Twitter. Une passante interpelle et filme des employés de l’opérateur Community Fibre à Londres. Ils sont en train de déployer de la fibre optique. Mais elle les accuse d’installer de la 5G « qui va tuer tout le monde ». Ce qui expliquerait, d’après elle, que des hôpitaux soient construits en urgence.
This is the consequence of those bonkers Facebook conspiracy theories about 5G. Key workers getting harassed on the street. pic.twitter.com/5z35r6sabp
— Charlie Haynes (@charliehtweets) April 2, 2020
D’autres situations de ce type ont été rapportées aux opérateurs par leurs équipes sur le terrain. Outre-manche, les opposants à la 5G n’hésitent donc plus à agresser verbalement des employés des télécoms, persuadés que cette technologie serait liée à la pandémie de coronavirus. Les conspirationnistes de la 5G sont-ils en train de se radicaliser à la faveur de nouvelles théories liées à la crise sanitaire ?
Le Royaume-Uni sous pression
Un cap symbolique a en tous cas été franchi, toujours au Royaume-Uni, où plusieurs dizaines de mâts supportant des antennes de téléphonie mobile ont été incendiés depuis le début du mois d’avril. Des vidéos avec des commentaires du type « La 5G doit brûler » ont aussitôt été publiées sur les réseaux sociaux.
Les villes de Birmingham, Melling et de Liverpool, ainsi que Belfast en Irlande sont notamment concernées. La plupart du temps, ce sont des antennes 2G, 3G et 4G qui se trouvent affectées, ce qui interrompt dans un moment particulièrement critique les communications mobiles avec les hôpitaux et les services d’urgence. Bien qu’aucune preuve formelle de liens avec des conspirationnistes 5G n’ait été établie publiquement, les opérateurs se montrent convaincus de leur culpabilité.
Nick Jeffery, à la tête de Vodafone UK a ainsi fustigé « les actions égoïstes de quelques théoriciens du complot illusionnés » sur Linkedin, l’oeuvre de parfaits « idiots » pour le patron de British Telecom Philip Jansen. Vodafone, EE et O2 se sont unis pour appeler leurs abonnés à signaler les fake news mais aussi ceux qui les propagent. « Nous devons stopper le partage de la désinformation et prévenir le vandalisme de nos réseaux », peut-on y lire.
We stand united to protect Britain’s critical infrastructure alongside EE, Three and Vodafone.
We must put a stop on misinformation sharing and prevent vandalism to our networks, relied upon by the NHS, critical services, and you. pic.twitter.com/NPt73cI9M8
— O2 in the UK (@O2) April 5, 2020
Depuis, des mâts ont également été incendiés aux Pays-Bas et en Belgique ces dernières semaines.
Dans ces deux pays, les opérateurs se montrent moins catégoriques. « Une enquête a été ouverte et la police fait son travail mais pas de lien confirmé pour le moment », nous précise un porte-parole de la société Proximus.
Pas de cas en France
En France, aucun des opérateurs que nous avons contacté n’a constaté de dégradation de ce type. Les infrastructures télécom sont sporadiquement la cible de vandalisme dans notre pays, mais ce sont les armoires de fibre optique, facilement accessibles dans la rue, qui sont généralement ciblées. Et ces incidents ne sont d’ordinaire accompagnés d’aucune revendication.
Ce passage à l’acte radical reste donc circonscrit à l’Europe du Nord. Mais il interpelle par sa violence. Il est probablement nourri par les nombreuses théories liant 5G et Coronavirus qui ont émergé avec la pandémie. La 5G est depuis plusieurs années un sujet de prédilection pour les conspirationnistes qui l’ont accusé tour à tour de tuer les oiseaux, de faire couper les arbres ou de risquer de griller le cerveaux des enfants comme dans un micro-ondes. Ce n’était rien comparé aux scénarios qui ont récemment émergé.
Tout aurait commencé en Belgique
D’après Wired, qui a tenté de trouver leur origine, tout serait parti des déclarations d’un médecin belge liant 5G et Coronavirus qui ont été publiées le 22 janvier dernier dans un quotidien en langue flamande : Het Laatste Nieuws.
Depuis, deux groupes de théories conspirationnistes sont apparus. Le premier part du postulat que le Covid-19 n’existerait pas : il aurait été inventé pour masquer les victimes de la 5G. Dans une autre variante, le Covid-19 est entièrement provoqué par la 5G. C’est cette technologie qui empoisonnerait le corps des humains.
Cette thèse s’appuie désormais sur la démonstration vidéo de l’Américain Thomas Cowan. Cet homme se prétend médecin mais n’est en fait qu’un adepte du mouvement de pensée anthroposophique créé par Rudolf Steiner au début du XXe siècle. Sa vision est simple.
D’après lui, les virus seraient des excrétions de cellules toxiques. Ils ne se propageraient pas par contamination. Les humains seraient contaminés par des champs électro-magnétiques. Il y aurait un grand mouvement d’électrification de la terre depuis 1918 et toutes les pandémies depuis 150 ans s’expliqueraient par l’exposition des populations à de nouveaux types d’ondes. Le Covid-19, lui, serait causé par le déploiement de la 5G. « A cause de la 5G, il y a maintenant 20 000 satellites qui émettent de la radiation ». Sa meilleure preuve ? Wuhan serait la première ville a avoir été couverte en 5G et la première contaminée par le Covid-19. On rappellera au passage que la 5G s’appuie sur des antennes mobiles terrestres et non des satellites, que Wuhan n’a pas été la première grande ville couverte en 5G mais que c’est Séoul en Corée du Sud, et que la France, qui n’a pas déployé de 5G, est durement touchée par le Covid-19.
A la suite de cette vidéo, de nombreuses internautes ont publié des cartes censées démontrer un lien entre la 5G et la progression du Covid-19. Pour la France, les complotistes ont utilisé l’outil cartographique du déploiement de la fibre optique de l’Arcep. Aucun rapport donc.
Les propos farfelus de Luc Montagnier
Un deuxième groupe de théories conspirationnistes reconnaît l’existence du virus mais avance que c’est la 5G qui le propage et qui est donc responsable de la pandémie. A partir de là, on relève des variations : le Covid-19 serait transmis par les ondes radio de la 5G, la 5G affaiblirait le système immunitaire et rendrait plus vulnérable au Covid-19, le nouveau standard permettrait de contrôler à distance les personnes infectées.
Malheureusement, ces intox ont été relayées et amplifiées par des personnalités. En France, la chaîne Cnews a invité le professeur Luc Montagnier sur l’un de ses plateaux le 17 avril. Auréolé de son prix Nobel de médecine pour ses travaux sur le sida, il a pu exprimer des propos totalement farfelus sans être contredit, bien au contraire.
Il a affirmé que le virus avait été fabriqué dans un laboratoire de Wuhan à partir de séquences du VIH et qu’il s’en serait échappé de manière accidentelle. La 5G aurait pu ensuite contribuer à le propager. « On a dit que la ville de Wuhan était très en avance pour l’installation d’antennes 5G. 10 000 antennes sont dans cette région. Elles ont pu contribuer au pouvoir pathogène du virus », a-t-il déclaré. Du miel pour les conspirationnistes qui peuvent désormais citer cette figure d’« expert » pourtant contesté par l’ensemble de la communauté scientifique.
Des célébrités crédules
Des célébrités du show-biz ont également semé le doute comme le célèbre comédien américain Woody Harrelson (Larry Flynt, Three Billboards, True Detective) qui a publié une vidéo illustrant supposément des Chinois abattant des mâts supportant des antennes 5G. « Je pense que la 5G peut perturber ou ralentir le corps dans le processus de guérison », a aussi déclaré la chanteuse M.I.A.
I don’t think it’s related except for timing. The timing is orchestrated by them. Not Us. I don’t think 5G gives you COVID19. I think it can confuse or slow the body down in healing process as body is learning to cope with new signals wavelength s frequency etc @ same time as Cov https://t.co/VDkE4oaxF5
— M.I.A (@MIAuniverse) March 24, 2020
Les réseaux sociaux en première ligne
Difficile d’évaluer l’ampleur du phénomène : on connaît juste le nombre de fausses informations que les réseaux sociaux sont amenés à supprimer sur le Covid-19. Facebook a annoncé le 16 avril dernier qu’il avait fait disparaître des centaines de milliers de contenus et affiché 40 millions d’avertissements dans le monde. Il avait déjà été confronté à de fausses informations concernant le vaccin contre la polio au Pakistan ou encore la rougeole aux îles Samoa. Mais avec le Covid-19, la masse de contenus problématiques atteint des niveaux rarement égalés dans le domaine de la santé.
La plate-forme a commencé à supprimer des intox dès la fin du mois de janvier sur un principe simple : faire disparaître tout ce qui peut augmenter la probabilité de contracter le virus ou qui peut conduire à la violence. Les messages liant Covid-19 et 5G sont apparus plus tard. Et Facebook n’a réagi qu’à la suite des incendies du Royaume-Uni. En plus de signaler ou d’informer sur les publications concernées, le réseau social supprime maintenant systématiquement les messages qui encouragent les attaques contre des antennes ou des mâts de téléphonie mobile car cela « pourrait entraîner des dommages physiques », comme le spécifie un porte-parole de Facebook.
YouTube a adopté la même stratégie. Il fait disparaître des vidéos début avril lors des premiers incendies de mâts. Il met en avant sa politique stricte de contenus concernant le Covid-19. « Tout contenu qui conteste l’existence ou la transmission de COVID-19, tel que décrit par l’OMS et les autorités sanitaires locales, viole les politiques de YouTube. Cela inclut les théories du complot qui prétendent que les symptômes sont causés par la 5G », nous a détaillé un porte-parole de YouTube. Toutefois, la plate-forme reconnaît ne pas agir systématiquement. « Pour un contenu borderline qui pourrait mal informer les utilisateurs de manière nuisible, nous réduisons les recommandations ». Youtube ne supprime donc pas tous les contenus qui lient 5G et Coronavirus. Il joue tout de même sur les algorithmes pour que ces vidéos ne soient plus recommandées et réduire ainsi leur visibilité.
Avec un peu de retard vis-à-vis des autres plate-formes, Twitter a annoncé ce 23 avril qu’il allait s’attaquer lui aussi aux fausses informations liant 5G et Covid-19. « Nous avons élargi nos directives sur les allégations non vérifiées qui encouragent les gens à se livrer à des activités nuisibles, pouvant mener à détruire ou endommager des infrastructures 5G, ou entraîner une panique généralisée, des mouvements sociaux ou des troubles à grande échelle », a déclaré un porte-parole du service, d’après l’AFP. La plate-forme affirme avoir éliminé 2230 tweets problématiques sur le Covid-19 depuis le 18 mars.
Les contenus ne pourront disparaître totalement
Malgré ce nettoyage, il est encore possible aujourd’hui de tomber sur des vidéos délirantes sur les réseaux sociaux, comme celle-ci, relevée par un journaliste de The Verge, où une femme affirme notamment que la 5G provoque le coronavirus en aspirant l’oxygène des poumons :
5G causes coronavirus because it’s sucking the oxygen out of your lungs, according to a video being spread on Facebook. I want to ? but the fact people believe this bullshit is genuinely scary pic.twitter.com/kY3g5MJtu9
— Tom Warren (@tomwarren) March 3, 2020
Des organisations tentent de réagir, en publiant des informations factuelles pour contrer ces théories délirantes. Dès le 27 février, l’Organisation Mondiale de la Santé est montée au créneau pour faire le point sur les effets sanitaires de la 5G. « Les réseaux de téléphonie 5G ne propagent pas le COVID-19 : les virus ne circulent pas sur les ondes radio ou par les réseaux mobiles. Le COVID-19 se propage dans de nombreux pays qui n’ont pas de réseau mobile 5G », peut-on lire sur le site officiel.
En France, la Fédération nationale des télécoms a également publié des éléments le 20 avril dernier pour tenter de faire de la pédagogie. Mais ces réponses ne suffiront malheureusement pas à endiguer le phénomène. Impossible de faire disparaître totalement ces contenus conspirationnistes qui sont aussitôt re-publiés après avoir été supprimés par les réseaux sociaux. Et il restera toujours des propos borderline qui passeront entre les mailles du filet.
Sources : OMS, Fédération nationale des télécoms, Wired, AFP