Les ROG Zephyrus (Duo, S et M) et ROG Strix de 2020 d’Asus vont arriver cet été dans nos magasins préférés. Et à condition que le COVID-19 ne joue pas un peu plus les trouble-fêtes. Ces nouvelles machines portables conçues pour répondre aux besoins des gamers ont toutes plusieurs points en commun. Pour n’en citer que trois, leurs écrans Full HD sont tous rafraîchis entre 144 et 300 Hz. Ils embarquent tous des cartes graphiques Nvidia GeForce RTX Super, les plus puissantes de la nouvelle gamme de puces 3D mobile de la marque. Troisième point commun, ce sont des processeurs Intel Core de 10e génération (famille Comet Lake-H) qui jouent les chefs d’orchestre. Ces derniers sont bourrés de gigahertz très musclés, bardés de coeurs et, pour accomplir leurs missions, se doivent d’être excessivement bien refroidis.
Troquer la pâte thermique contre du métal
Pourquoi tempérer leurs ardeurs au maximum ? D’une part, parce que les Core pourront travailler en mode Turbo plus longtemps, un mode dont beaucoup de jeux profitent et profiteront encore un moment (voir encadré). D’autre part, parce qu’un bon refroidissement maintient le processeur à son plein potentiel. Surtout quand tous ses coeurs sont utilisés pendant très longtemps. Cela le préserve ainsi du phénomène de throttling (abaissement de la vitesse pour éviter les coups de chaud) et ça garantit une très bonne stabilité du système et donc, des jeux.
En voyant les fiches techniques des nouvelles puces Intel Core et après quelques tests en situation, Asus s’est rendu compte que la pâte thermique traditionnelle allait commencer à montrer ses limites. Surtout si on enfermait les puces dans des boîtiers un peu fins.
Les ingénieurs ont cherché à optimiser la qualité de la pâte, un élément qui a toute son importance dans la chaîne de refroidissement. De leur aveu, ils se sont toutefois aperçu qu’ils utilisaient déjà la meilleure du marché. Quant à revoir l’aluminium et le cuivre utilisés pour fabriquer le système de refroidissement, impossible là encore. Ils constituaient déjà le meilleur rapport performance-prix pour une machine de jeu.
Ils ont donc cherché une solution qui permettrait de remplacer le maillon le plus faible de la chaîne, la pâte, tout en conservant leurs dispositifs de refroidissement. Le métal liquide s’est imposé à eux car déjà très utilisé dans le monde très confidentiel de l’overclocking pour refroidir les puces et les faire grimper à des vitesses vertigineuses sans les détériorer.
Après le lancement des nouveaux Zephyrus, nous avons eu la chance de nous entretenir longuement avec l’un des ingénieurs d’Asus basé à Taïwan, Sascha Krohn. Il nous a détaillé les atouts du métal liquide comme catalyseur et ce qui le différenciait de la pâte thermique sur bien des aspects.
Il nous a aussi raconté l’histoire du développement de la technique d’application du métal liquide, les succès comme les complications que les ingénieurs d’Asus avaient pu rencontrer dans leur quête de la maîtrise de cette nouvelle matière. Une matière qui, d’ailleurs, pourrait être amenée à se démocratiser de plus en plus dans les PC portables pour joueurs.
(la suite après l’encadré)
01net.com : Pourquoi avoir choisi le métal liquide pour refroidir les nouveaux processeurs Intel des Zephyrus et Strix ? Quels sont ses avantages ?
Sascha Krohn : Nous avons décidé d’utiliser le métal liquide sur nos nouvelles machines de jeu car nous voulions conserver une épaisseur de boîtier contenue sans pour autant faire de concession sur la puissance mise à disposition des joueurs. Le métal liquide offre une meilleure conductivité de la chaleur émise par le circuit imprimé du processeur (le die) vers la base du système de refroidissement que la pâte thermique classique. Cela se vérifie très bien sur les Core d’Intel de la famille Comet Lake-H.
Nous avons mis plus de deux ans pour trouver une formule d’utilisation et des moyens de la mettre en oeuvre à la hauteur de nos attentes. Nous avions déjà utilisé cette matière auparavant sur l’une de nos machines, le Mothership présenté au CES 2019, mais nous n’avions pas encore le même niveau de maîtrise ni les machines pour l’utiliser à grande échelle. Les résultats étaient encourageants mais plusieurs ingénieurs de mon équipe pensaient que nous pouvions aller encore plus loin. Nous nous sommes donc remis au travail.
Qu’est-ce qui se cache derrière le métal liquide ? Un seul composant chimique ? Plusieurs ? Et à quel est le coût de la matière ?
C’est simple. C’est un mélange de deux métaux dits pauvres : le gallium et d’indium principalement. Ils demeurent liquides tant qu’ils sont exposés à des températures ambiantes voire chaudes. Il n’y a qu’à très basses températures que leur état commence à changer. Ce qui n’arrive pas vraiment dans un PC de gaming !
L’avantage de ces métaux c’est qu’ils sont des matières premium, bien connus de l’industrie, mais qui ne coûtent pas excessivement cher. En toute transparence, ils le sont plus que de la pâte thermique sans être inabordables, pour éviter que les prix finaux ne flambent.
Pour nos équipes, il était aussi important de trouver des matières qui ne demandent pas de grosses installations chimiques pour le stockage et, enfin, que leur niveau de toxicité soit bien inférieur à celui du cuivre ou de l’aluminium par exemple. On peut plus facilement les retraiter et faire en sorte de limiter l’impact de leur utilisation sur l’environnement.
Quelles sont les contraintes imposées et, surtout, les défis que vous avez dû relever pour généraliser son utilisation ?
Avant toute chose, précisons un point : le métal liquide est extrêmement conducteur. Tant d’un point de vue thermique qu’électrique. Donc si la moindre goutte de métal liquide entre en contact avec un composant non isolé de la carte mère, c’est le court-circuit assuré. C’est un préambule nécessaire pour bien comprendre la suite et qui expliquer pourquoi ce type de refroidissement ne s’est pas encore démocratisé. Avant de développer nos propres machines, ce sont nos ouvriers qui appliquaient la matière sur les rares PC portables qui utilisaient le refroidissement au métal liquide, pour éviter la moindre erreur de dosage.
Après plus de deux ans de recherche et développement, nous sommes parvenus à concevoir des robots pour effectuer la manipulation, mais nos techniciens demeurent essentiels. Trouver la bonne mécanique, le bon applicateur, développer le bon programme pour contrôler le robot, la distribution de la matière, etc. fut un long travail.
Nous avons aussi, il faut l’avouer, éprouvé nos différentes techniques sur plusieurs centaines de processeurs. Des cobayes qui étaient déjà défectueux à la base ou des modèles que nous avons récupérés dans nos centres de réparation, sur des machines qui allaient partir à la casse, pour éviter tout gâchis.
Comment l’applique-t-on sur le processeur ?
Comme on peut le voir sur notre vidéo de promotion (ci-dessous), c’est un gros pinceau qui se charge d’appliquer la matière, maintenue à température ambiante.
Le robot l’applique en plusieurs couches, très très fines. Et, pour éviter que la matière – liquide – ne se répande sur la carte mère, nous avons été obligé de trouver une solution. Pour se prémunir contre tout risque, nous avons conçu un enclos amovible que nos techniciens déposent sur chaque carte mère avant de la positionner dans la machine qui applique le métal liquide.
En fin d’application, une buse vient déposer deux gouttes supplémentaires sur le haut du circuit. Une fois que c’est fini, on enlève cette protection. Un technicien se charge de prendre le PC portable et de positionner le système de refroidissement, composé de ventilateurs et de caloducs (tuyaux de cuivre).
J’en profite pour préciser un point intéressant. La base du radiateur qui vient se positionner sur le circuit du processeur est recouverte d’une couche de nickel. Pourquoi ? Parce qu’à l’inverse du cuivre ou de l’aluminium, le nickel n’agit pas comme une « éponge » sur le métal liquide. Lors de nos tests, nous avons en effet remarqué que sous l’effet de la pression et de la chaleur, le cuivre et l’aluminium absorbaient le métal liquide, petit à petit. Le nickel, non. Nous avons donc décidé de l’utiliser afin de garantir la meilleure pérennité et une plus grande efficacité du procédé.
Puisqu’on évoque l’efficacité de métal liquide, quels sont les gains constatés par vos équipes ?
D’après nos tests, le métal liquide est 20% plus efficace que la pâte thermique traditionnelle. Notamment sur les plus gros modèles de PC portables, comme sur le Mothership. Mais, bien sûr, tout dépend des modèles de PC et surtout, des processeurs Intel présents dans les machines. Ainsi que des scénarios d’utilisation. Nous avons mesuré des écarts compris entre 5 et 10°C à catégorie de processeurs équivalents, enfermés dans le même boîtier, avec la même configuration de composants.
Autre gain : le bruit. Les ventilateurs tournent moins vite puisque le processus de dissipation en amont est mieux maîtrisé et plus efficace. Nous, nous gagnons entre 2 et 3 dB dans notre chambre anéchoïque. Ce sera surement un peu moins dans des conditions réelles d’utilisation, avec du bruit ambiant et des fluctuations des températures externes.
Est-ce que le métal liquide se détériore avec le temps ?
Oui, comme tout matériau. Mais moins vite que la pâte thermique et nos projections indiquent que le rapport efficacité-longévité est plus important. Impossible toutefois de donner de chiffres exacts vu que nous n’avons pas encore assez de recul sur l’emploi d’une telle technique.
Asus est la seule marque à utiliser le métal liquide ? Ou d’autres l’utilisent-elles aussi à votre connaissance ?
À ma connaissance, HP l’a utilisé sur un Omen très haut de gamme l’année dernière [NDLR : l’Omen X 2S]. Mais, comme nous, ils ont dû avoir recours à l’application à la main. Ce qui devait être très coûteux et je ne sais pas s’ils vont continuer à l’utiliser. Sauf s’ils ont, comme nous, développé des machines spéciales. Il faudra surveiller leurs prochaines annonces.
Car, il y a des chances que la tendance soit à la démocratisation du métal liquide. À la lumière des travaux que nous avons réalisés, Intel a envoyé un mémo à tous ses partenaires de l’industrie qui encourage l’utilisation du métal liquide dans les PC portables les plus puissants. Nous n’en sommes pas peu fiers.
Envisagez-vous de l’utiliser sur des GPU dans les PC portables ? Ce sont aussi des processeurs après tout.
Utiliser du métal liquide sur les processeurs de calcul pur a plus de sens que sur le GPU. Pour faire une analogie, il est plus facile de refroidir la flamme d’un briquet – le CPU – qu’un feu d’une plaque vitrocéramique – le GPU. Les points chauds sont plus concentrés et bien moins nombreux sur un processeur CPU que sur un GPU. Et cela se vérifie encore plus sur les modèles de PC portables. En outre, l’architecture d’une puce graphique a, par essence, une gestion et une circulation des calories bien différentes de celles d’un processeur Intel ou AMD par exemple qui, en gros, oeuvrent de la même façon à ce niveau.
Sur le GPU, les calories et leurs concentrations sont plus difficiles à cibler. Et la consommation électrique n’est pas non plus la même. Ce qui pourrait réduire l’efficacité du métal liquide in fine et engager un coût supplémentaire. Ici, en l’état, les pâtes thermiques et autres paddles (isolant adhésif utilisé sur la mémoire et les étages d’alimentation de la carte graphique) sont toujours très efficaces car souvent épaulés par d’autres éléments du système de dissipation des calories de la machine.
Et, avant que vous ne me posiez la question, utiliser le métal liquide sur des cartes graphiques pour PC de bureau est possible. Mais pour le moment, nous n’envisageons pas de le faire. Pour les mêmes raisons que celles évoquées auparavant. Toutefois, nous continuons à faire des tests et des recherches en ce sens.
Propos recueillis par Aymeric Siméon