Depuis le 11 mai, la France est entièrement déconfinée. Certains se sont très vite adaptés, d’autres l’ont plutôt mal vécu. Peur des autres, d’être malade ou de retourner au travail… Comment s’est psychologiquement passé le post-confinement ? Quelles conséquences sur le reste de l’année ? Bilan et analyse du psychothérapeute Bruno Vibert.
[Mis à jour le lundi 15 juin 2020 à 16h20] La France a démarré son déconfinement le 11 mai. Et ce retour à la vie normale n’a pas été sans conséquence sur notre santé mentale. Si la majorité d’entre nous se sont bien adaptés, d’autres ont eu du mal à sortir de leur zone de confort. Peur de la contamination, attitude de jugement, réadaptation au travail, besoin de surconsommation… Les effets psychologiques de l’après-confinement ont été nombreux. Retour et bilan avec Bruno Vibert, psychothérapeute.
Déconfinement et peur des autres
Quand l’humain a peur et se sent impuissant, il a tendance à juger, à devenir un peu plus méfiant et agressif.
Lorsque le confinement a été levé, le 11 mai, nous avons pu ressortir, reprendre les transports et re-fréquenter certains lieux publics, en respectant bien entendu les conditions sanitaires. Nous avons ainsi recroiser d’autres personnes et « cela a pu réveiller des angoisses, de l’anxiété ou des inquiétudes. En effet, passer près de deux mois confiné et isolé, avec des interactions sociales extrêmement limitées n’est jamais anodin et peut avoir des répercussions psychologiques« , affirme Bruno Vibert. Il y a d’abord eu la peur d’être contaminé par quelqu’un et d’être malade car le virus circulait toujours. Cette crainte a d’autant plus été renforcée dans les transports en commun, un espace clos et anxiogène qui nous confronte en permanence à autrui et qui ne permet pas toujours la distanciation sociale recommandée. « Et quand l’humain a peur et se sent impuissant face à une situation incertaine, spontanément il a tendance à juger, à devenir un peu plus méfiant et/ou agressif. On a donc pu constater une hausse des sensations de jugement dans les lieux publics, des conduites d’évitement ou de rejet mais aussi des comportements agressifs envers les autres. En termes de sociabilité, le déconfinement a eu des conséquences et a pu créer insidieusement des petits groupes, qui font partie des mécanismes d’auto-protection« , s’inquiète notre interlocuteur. Au fil des mois, on peut même craindre une augmentation des phobies sociales comme l’agoraphobie (peur de la foule, d’un lieu d’où il est difficile d’être secouru), l’anthropophobie (la peur des gens) ou la blemmophobie (peur du regard des autres, d’être jugé ou perçu comme anormal).
Déconfinement et retour au travail
Même si nombreux sont ceux qui ont pu télétravailler de chez eux, les jours ou les semaines qui ont suivi le déconfinement ont marqué un retour physique au travail, du moins dans un environnement différent de notre domicile. « On a mis du temps à s’habituer à rester chez nous. Certains ont même apprécié être seuls, en comité restreint ou enfermés dans un cocon dans lequel ils se sentaient bien, préservés des agressions extérieures. Ce retour au travail a pu être perçu comme un changement brutal dans le quotidien. Pourtant, il a bien fallu se réhabituer progressivement à côtoyer un autre environnement, qui a pu être parfois anxiogène car marqué par une crise sanitaire d’ampleur mondiale« , explique Bruno Vibert.
Heureusement, « la sortie du confinement a pu permettre aux entreprises d’envisager une autre façon de travailler et pourquoi pas être davantage à l’écoute de leurs employés. Le retour au travail a d’ailleurs pu être le moment de discuter avec sa hiérarchie pour voir ce qu’il était possible d’aménager (un télétravail, le suivi de formation, un mi-temps, une nouvelle façon de travailler…). Parfois, ce sont des choses auxquelles on pense depuis longtemps et dont on n’a jamais pu discuter avec son supérieur, car on a souvent tendance à répondre aux besoins de son entreprise et moins à ses propres besoins », affirme-t-il. Les semaines qui ont suivi le déconfinement ont semblé être un bon moyen de repenser sa façon de travailler, de se reconnecter à soi-même et de davantage connaître ses envies.
Déconfinement et addictions
Le déconfinement a favorisé les comportements impulsifs et excessifs.
Être obligé de rester à domicile n’a été naturel pour personne et cette privation de liberté a pu créer des frustrations. Dans sa vie de tous les jours, l’individu a en effet besoin d’exutoires, de se sentir libre de faire ce qu’il veut, de sortir s’il en a envie, de prendre l’air comme bon lui semble, d’acheter et de consommer ce qu’il veut. « Chez l’humain, surtout dans le peuple latin, quand on lui interdit quelque chose, ce dernier éprouve un besoin de surconsommation. Cet élan de surconsommation a notamment été visible dans l’Histoire, après les grandes crises ou une période de guerre. Le déconfinement a pu parfois favoriser les comportements impulsifs et excessifs. Les envies ont été propres à chacun mais globalement on a eu plus envie de faire la fête, de voir ses amis, d’acheter dans les magasins, en somme, de rattraper le temps que l’on pensait avoir perdu pendant plusieurs semaines. C’est d’ailleurs un fonctionnement très freudien : lorsqu’on est privé de son quota de « nourriture » (comprendre la nourriture de l’esprit, le plaisir…) pendant un long moment, on surcompense« , argue le spécialiste.
Il y a aussi eu davantage de comportements addictifs, par exemple à l’alcool, aux drogues, aux écrans et aussi une recrudescence des pratiques sexuelles à risque. « Par exemple, avec la tendance des apéros en visio, les addictologues ont constaté une hausse des addictions à l’alcool. Ce n’est pas anodin, le fait d’être enfermé et dénué de contacts sociaux a pu pousser à compenser virtuellement et à boire plus que d’habitude. Et en cette période de confinement, l’alcool a été pour certains un moyen de mieux supporter le confinement, la solitude ou l’ennui et d’être moins ancré dans la réalité« , argue-t-il. « Ces prochains mois, il faudra donc s’auto-réguler, s’imposer des limites de consommation, en somme ne pas succomber à son instinct primaire« , insiste le psychothérapeute. Concrètement, cela va passer par le fait de s’imposer des jours sans boire d’alcool, de se fixer des temps sans écran et des horaires de retour à la maison par exemple…
Que retenir du déconfinement ?
Les stades psychologiques du déconfinement« Face à un événement traumatisant ou qui bouleverse sa vie quotidienne, l’être humain a tendance à traverser de différents stades psychologiques, étape par étape. La durée de ces phases peut varier d’un individu à l’autre, mais leur évolution suit globalement la même chronologie », précise Bruno Vibert :
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- Prendre le déconfinement comme une opportunité : « Ce déconfinement a peut être été le moment de faire le point sur ce dont on a envie, tant dans sa vie professionnelle que personnelle, de mieux se connaître, de davantage s’écouter et d’avoir plus conscience de soi. Le déconfinement a pu être une période qui a permis des remises en questions positives« , argue notre interlocuteur.
- Avoir des projets : « Je conseille de vous concentrer maintenant sur des projets que vous pourrez mettre en place dans quelques mois et de les envisager vraiment, car ils seront à un moment donné réalisables et concrétisables« , rassure le psychologue. Cela peut être de changer de travail, d’acheter un bien immobilier, d’organiser un voyage, de se lancer dans une association caritative, de débuter une nouvelle activité physique…), écrivez-les si vous en ressentez le besoin, parlez-en à vos proches et renseignez-vous de manière concrète.
- Se rassurer. « Avoir peur était et est totalement légitime dans un contexte comme celui-ci, mais il ne faut pas hésiter à s’équiper pour se rassurer, Pour cela, il faut se demander de quoi a-t-on réellement peur et mettre tout en place pour minimiser cette appréhension« , conseille notre psychologue. Par exemple, si on a peur de la contamination, on va tout faire pour se protéger davantage, mettre un masque et des gants, maintenir une distanciation sociale, se laver les mains après chaque sortie… Si on a peur de prendre les transports, on peut essayer de trouver un covoiturage pour les premiers jours. Quelles que soient nos peurs, il ne faut pas hésiter à en parler à son entourage pour avoir un soutien émotionnel. « Le message clé, c’est d’essayer de ne plus placer ses inquiétudes en faiblesse, mais de les ériger en forces« , poursuit-il.
- Faire son deuil et « accepter que son quotidien est à nouveau chamboulé et que sa vie n’est peut être plus exactement la même que celle d’avant. Certes, on a retrouvé certains aspects, mais peut-être pas tous. Par exemple, on a pu sortir ou retrouver du lien social, mais pas de la même façon. Et ça, il faut en avoir pleinement conscience et essayer de l’accepter » prévient le psychothérapeute.
Lancée début avril par le SAMU Social International et l’Association les Transmetteurs, SOS Confinement est une plateforme d’écoute téléphonique gratuite, depuis le numéro gratuit : 0 800 19 00 00 |
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Merci à Bruno Vibert, psychothérapeute.