Le réalisateur de « Les Invisibles » revient avec une comédie sur un sujet dramatique : l’accueil des réfugiés mineurs en France. Avec « La Brigade », au cinéma le 23 mars, Louis-Julien Petit projette Audrey Lamy en seconde de cuisine ambitieuse cantonnée à un foyer pour migrants. Interview d’un créatif à la fibre humaine.
La Brigade, en salles le 23 mars, penche du côté de la comédie pour aborder un sujet social difficile à regarder en face : les réfugiés mineurs en France, en quête d’une formation pour rester dans le pays. Après Les Invisibles, sur les femmes SDF, et Discount, sur les employés de supermarché low-cost, le réalisateur qui a fait de la dramédie sa marque de fabrique réitère par le rire. Louis-Julien Petit offre à Audrey Lamy le premier rôle de Cathy Marie, seconde de cuisine gastronomique contrainte de devenir cantinière dans un foyer pour migrants. L’ambitieuse découvre alors des jeunes motivés à apprendre et à aider. Cathy Marie transformera cette cuisine associative en un véritable tremplin pour elle comme pour ces jeunes, dans une ambiance bienveillante, légère, sympathique. On a questionné le réalisateur sur les coulisses d’une telle histoire et sa vision du cinéma social. Entretien.
Comment l’idée de La Brigade est-elle venue à vous ?
Louis-Julien Petit : Ma co-scénariste avait une idée de fiction sur une cuisinière qui donne des cours à des migrants à Treignac, dans le Sud-Ouest. Là-bas, 100% des jeunes sortent diplômés. Ils peuvent prétendre à un job, être intégrés à notre société française et à notre cuisine alors qu’ils viennent d’ailleurs. Elle en a parlé à ma productrice. Ces jeunes ont envie d’apprendre alors que nous avons des secteurs en pénurie de main d’œuvre, comme la restauration ou l’agriculture. Je me suis demandé si ce film pouvait faire le lien entre les deux. Ma caméra se poserait alors au milieu pour créer un lien à travers la comédie. Ce genre est une arme pour mettre en avant un sujet qui reste habituellement sous la table. Il s’agissait ensuite de trouver le personnage de Cathy Marie, haut en couleur, populaire sans être vulgaire, féminine avec une démarche masculine, exigeante sans être trop autoritaire. C’était l’enjeu.
« Avec ce film, j’ai décidé d’emmener cette problématique vers une possible solution »
Qui est Cathy Marie ?
Louis-Julien Petit : Elle est inspirée de cette cuisinière, Catherine Grosjean, de plein de chefs rencontrés et de moi aussi. On a tous un petit côté Cathy Marie qui ressort, quand on est exigeant avec soi-même, quand on sait comment bien travailler et que notre patron nous dit comment faire. On commence d’ailleurs à l’aimer quand elle s’impose face à sa boss. Elle finit par réaliser son rêve avec la force du collectif. On n’est pas chef seul, il faut une brigade, de la même manière qu’on n’est pas réalisateur seul, il faut une équipe.
Comment avez-vous trouvé l’équilibre entre comédie et social, pour parler d’un sujet brûlant comme celui des réfugiés ?
Louis-Julien Petit : On est sur le fil du rasoir dans la comédie sociale. Trop à gauche, on devient misérabiliste et trop à droite, ça vire au burlesque. La migration, c’est quelque chose d’humain. On l’a toujours connue, nos parents et grands-parents aussi. Avec ce film, j’ai décidé d’emmener cette problématique vers une possible solution. Le genre de la dramédie permet de montrer des combattants modernes, des jeunes qui se sont battus pour arriver en France afin d’apprendre des choses ou simplement de pouvoir commencer à vivre. Leur objectif est de pouvoir retourner chez eux pour transmettre le savoir acquis ici et ainsi empêcher les jeunes dans leur pays d’avoir le même parcours migratoire qu’eux. Mon militantisme passe par la fabrication de films, je ne sais faire que ça. Je mets mon cœur, mon âme, mon humour, mon amour, mon humanité dans ce personnage, dans cette histoire et après je cherche comment agir. Après Les Invisibles, beaucoup de personnes m’ont demandé comment aider. Il y a évidemment de nombreuses associations vers lesquelles se tourner, mais cette fois, je voulais intégrer une solution au film, proposer aux spectateurs de devenir acteurs de la société de demain.
Vous avez ainsi décidé de glisser un vrai numéro d’aide aux réfugiés dans votre film : le 07 49 79 49 61…
Louis-Julien Petit : L’idée du numéro est venue au moment de se demander comment agir en tant que cinéaste. C’était risqué, on a tourné avec le vrai numéro de téléphone, qu’on a acheté et qui appartient aujourd’hui à la Maison Familiale Rurale. Un spectateur qui voit le film, s’il est agriculteur, employeur, formateur, peut appeler ce numéro (ou aller sur le site de la MFR.fr) pour trouver un apprenti. La MFR fait ensuite le lien. J’ai voulu que le film serve d’interface car ce sont les solutions qui m’intéressent, l’issue positive. Je ne vais pas sauver l’histoire de l’immigration avec La Brigade, ça ne reste que du cinéma, mais c’est notre contribution.
C’est déjà beaucoup d’arriver à rendre leur humanité à ceux dont on entend souvent parler uniquement par une actualité peu reluisante…
Louis-Julien Petit : C’est ce que pense Amadou, qui joue Mamadou. Il dit que le film montre une image positive des migrants alors que quand il regarde la télévision, il ne voit que des infos négatives sur la migration. Trois cent jeunes ont été castés, ont parlé de leur vie face caméra. J’en ai sélectionnés 100 pour quatre mois d’ateliers de théâtre, à l’issue desquels j’en ai choisis 50. La première scène du film où ils apparaissent est leur vraie première scène. La dernière est réellement leur dernière scène. Je voulais proposer au spectateur d’être au même tempo que le personnage principal, d’être catapulté comme elle, de découvrir ces jeunes comme elle les découvre. On entre par la comédie, mais on est touché par l’émotion.
Dans Les Invisibles, vous aviez déjà casté des femmes passées par la rue. D’où vous vient cette volonté de faire jouer ceux qui vivent vraiment ces situations-là ?
Louis-Julien Petit : Un réalisateur cherche à être crédible, moi je cherche à être vrai. Pour Les Invisibles, les femmes SDF faisaient de la figuration. Aucune d’entre elles n’entrait clairement dans la construction du scénario. Pour La Brigade, c’est le cas. Le premier jour du tournage, il y avait 2/3 Gusgus, 2/3 Mamadou, 2/3 Djibril. Ils se sont incarnés tout de suite et j’ai choisi de les faire travailler sur mon film.
Qu’avez-vous appris pendant ce tournage ?
Louis-Julien Petit : Qu’il faut que je continue.
« Audrey Lamy a la dramédie pour elle »
Vous avez cumulé les galères sur le tournage. Qu’est-ce qui vous a porté pendant ces moments difficiles ?
Louis-Julien Petit : Il y a eu beaucoup de catastrophes, mais j’ai eu foi en mes acteurs, en mon équipe. J’essaie d’être un capitaine de navire, si je lâche, tout le monde se casse la figure. Alors j’y ai cru, j’ai essayé de m’adapter à tous les drames qu’on a eus. Réaliser, c’est se battre contre les éléments. La météo, la lumière, la chaleur, le froid, la pluie, les intempéries, les blessures… On l’a fait et on retient que le film sort sans que le spectateur ne pense à tout ça en le voyant.
Qu’est-ce qui vous a convaincu de retravailler avec Audrey Lamy ?
Louis-Julien Petit : Audrey Lamy a la dramédie pour elle. Je n’ai pas écrit ce rôle pour elle, mais j’ai pensé à elle. Je voulais qu’elle soit convaincue par le personnage. Je ne lui avais quasiment rien dit du sujet. Je n’avais pas du tout envie qu’elle se mette la pression. On se connaît, mais rien n’est acquis. Quand elle m’a dit « oui », je l’ai prévenue qu’il allait falloir travailler énormément pour apprendre ce métier passion, son vocabulaire, ses gestes et attitudes. Il y a eu six mois de préparation pour ce personnage. Je voulais un lâcher-prise total, qu’elle soit connectée au plus profond avec ces jeunes qui n’avaient pas de texte face à elle. Je leur racontais les scènes avant de les jouer, mais je voulais qu’ils soient spontanés, authentiques. Audrey a décroché le prix d’interprétation à l’Alpe d’Huez, j’en suis très content.