« J’ai toujours eu un sentiment d’injustice »


Françoise Fabian joue avec appétit dans « Rose » d’Aurélie Saada, au cinéma le 8 décembre. L’actrice de 88 ans y incarne une femme dix ans de moins qui retrouve plaisir à vivre, à goûter les rencontres et les petits bonheurs du quotidien à la mort de son époux. La comédienne à la mèche blanche y est radieuse, émouvante et rebelle à sa manière. Rencontre avec une audacieuse.

« Qu’est-ce que vous voulez savoir ? » La voix et le regard sont aussi limpides que la question. Françoise Fabian, à l’affiche de Rose d’Aurélie Saada le 8 décembre, sort de la projection de L’Evénement quand nous la rencontrons au Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz. La signataire du Manifeste des 343 avoue être chamboulée par ce drame sur un avortement clandestin dans les années 60. Une troublante réminiscence pour celle qui s’est si férocement battue auprès de Simone Veil. « Ce film me rappelle tellement de souvenirs que ça m’a mise un peu KO…« , lâche-t-elle. A 88 ans, Françoise Fabian n’a plus rien à prouver. Depuis 65 ans, l’écran et les planches ne cessent de révéler son talent. Ses yeux, ses engagements et sa verve disent le reste : cette détermination farouchement ancrée en elle. Au cours de l’entretien, plusieurs personnes s’arrêtent pour la complimenter sur son parcours et son film, Rose donc. Toutes ont fait le parallèle entre le personnage de septuagénaire décidée à croquer la vie à pleines dents et l’actrice fétiche de la Nouvelle Vague. L’énergie de la comédienne et celle de son double fictif se valent. Les punchlines prêtes à jaillir chez Françoise Fabian sont aussi affutées que chez cette veuve en pleine émancipation. « Vous nous donnez envie de vieillir« , lui glisse l’une de ses admiratrices. Réponse de l’intéressée : « Pourquoi vieillir ? De vivre ! » Conversation sur le même ton.

Qu’est-ce qui vous a plu dans Rose ?
Françoise Fabian : C’est un parcours de femme extraordinaire, mais c’est en réalité un film beaucoup plus large, qui concerne tout le monde. J’ai tout de suite dit « oui » à Aurélie Saada car on ne refuse pas un rôle comme ça. Rose est une bonne épouse, une bonne mère. Quand elle perd son mari, elle n’a plus aucun intérêt à vivre, elle se laisse aller. Et puis un beau jour, au cours d’une réception avec des jeunes où elle ne pense pas avoir sa place, elle voit une femme plus âgée qu’elle qui remue tout ça. Elle réalise que la vie ne s’arrête pas parce que les choses changent. Pourquoi stopperait-elle face aux épreuves ? Quand on perd quelqu’un, on est désespéré, mais on continue à avancer.

Françoise Fabian dans « Rose » © Silex Films – Germaine Films – Apollo Films

Rose retrouve plaisir à vivre, mais ses enfants ne voient pas d’un bon œil cette renaissance. Ça en dit long sur notre regard sur la vieillesse…
Françoise Fabian : C’est en ça que c’est un beau film. D’abord, ses enfants la critiquent parce qu’ils ne supportent pas qu’elle se néglige. C’était une femme assez belle, rieuse et généreuse. Quand elle réalise qu’elle est encore vivante, qu’il n’y a aucune raison de faire honte à cette famille, elle redevient presque une jeune fille. Il y a cette cassure. On s’occupe de son corps, elle trouve ça délicieux et elle continue dans cette voie… Elle se sent coupable, elle se trouve nulle et puis elle danse avec ce garçon très charmant, joué par Pascal Elbé, pour découvrir qu’elle est encore une femme et que ce n’est pas fini pour elle. Jusqu’à dire « oui je suis vieille, mais je ne suis pas morte« !

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Ce jeu de séduction entre Pascal Elbé et vous est une scène rare entre un personnage féminin de 78 ans et un homme dans la cinquantaine. En tant qu’actrice, y avait-il quelque chose de politique à la jouer ?
Françoise Fabian : Tout à fait, c’est un peu révolutionnaire (rire) ! Pourquoi les femmes devraient-elles être des rebuts à partir d’un certain âge ? Elles ont fait des enfants, elles ont accompli leur devoir, elles ont tenu une famille et c’est fini pour elles? Non! C’est bien de le montrer. L’apparence prime toujours, mais la vie, ce n’est pas seulement l’aspect extérieur.

« Pour bien vieillir, il faut savoir ce qui se passe ailleurs »

Selon vous, « il faut être honnête pour bien vieillir« . Qu’entendez-vous par là ?
Françoise Fabian : Je veux dire qu’il faut voir les choses d’une façon équilibrée. C’est politique. Il faut être lucide. Pour bien vieillir, il faut savoir ce qui se passe ailleurs, connaître la misère qu’il y a dans le monde, se tourner vers des choses qui ne nous concernent pas seulement nous-mêmes. Je regarde la vie, les gens. Il faut être informé pour avoir conscience de ce qui nous attend et en même temps, il faut vivre pleinement parce que ça en vaut la peine.

Après toutes ces années, quel est le rapport que vous entretenez avec la caméra ?
Françoise Fabian : Je ne sais pas. Là, c’était évident. J’ai joué ce personnage avec beaucoup d’amour et de liberté. Aurélie m’a offert ce rôle sur un plateau, mais je l’ai aussi fait mien. J’y ai apporté des choses que j’avais envie de faire. Pour une scène, je me suis mise à cuisiner en chantant en arabe. J’ai eu confiance en elle. Elle a du talent, une force considérable. On était tous très mobilisés, peut-être parce que le danger de la maladie rôdait autour de nous pendant ce tournage après le confinement. Il n’y avait pas de temps à perdre.

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Les cinéastes avec lesquels vous avez travaillé ont-ils vu des choses en vous dont vous n’aviez pas conscience ?
Françoise Fabian : Dans tous mes films, j’ai donné de ma personne. À chaque fois qu’on m’a proposé un rôle, c’est parce qu’on cherchait quelque chose de moi. On savait ce que je pouvais faire. Cela n’a jamais été des choses dont je n’avais pas conscience, mais j’étais contente que les réalisateurs devinent certains de mes aspects.

Y a-t-il un rôle que vous n’avez jamais joué ?
Françoise Fabian : J’ai raté ma vie de comédienne parce que je n’ai jamais joué ni Tchekhov ni Shakespeare. Il me manque vraiment quelque chose. Là, tout de suite, je fais le vœu de jouer Les Trois Sœurs de Tchekhov au théâtre !

La célébrité vous a-t-elle déjà dérangée ?
Françoise Fabian : Quelque fois… Ça dépend, on peut tomber sur des imbéciles (rire), mais quand les gens sont gentils, accueillants et qu’ils aiment votre travail, c’est plaisant. Un pâtissier a envie que l’on savoure ses gâteaux. Quand on fait bien son métier, on travaille beaucoup pour être apprécié. Il y a d’ailleurs des choses qu’il faut apprendre aux jeunes comédiens. Ils ne savent pas parler, prononcer une phrase jusqu’au bout ! Or, il n’y a pas d’art sans technique. De nos jours les gens arrivent, ils jouent la comédie, ils présentent bien, mais on ne comprend pas ce qu’ils disent (rire).

« J’étais complètement avant-gardiste »

Comme Rose, vous êtes-vous déjà fixé des interdits ?
Françoise Fabian : On s’empêche de faire des choses toute la vie, qu’on soit jeune ou pas, mais il n’y a aucune raison de tout s’interdire… même quand on nous dit qu’il ne faut pas le faire. Pourquoi obéir aux interdits politiques, aux interdits moraux ? Il suffit d’être honnête avec soi-même.

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Dans les années 60, vous disiez déjà que ça vous embêtait quand un personnage féminin n’existait que par ses relations aux hommes… Vous étiez en avance sur votre temps !
Françoise Fabian : J’étais complètement avant-gardiste. J’ai beaucoup milité au Planning Familial avec Simone Veil. J’avais fait un grand discours quand il était question que la loi Veil soit éliminée, je l’ai beaucoup défendue. Je disais qu’il fallait absolument que les femme se libèrent, qu’elles vivent leur vie, qu’elles choisissent.

D’où vous vient cette envie de défendre les femmes, à l’écran comme à la ville ?
Françoise Fabian : Ça vient du fait que j’ai regardé les gens vivre jusqu’à en faire mon analyse. J’ai aussi puisé beaucoup dans la littérature. Il y a des phrases de Tolstoï qui disent que sans les femmes, la vie n’existerait pas, il n’y aurait pas de société, il n’y aurait rien. Tolstoï, déjà, à son époque ! J’ai toujours eu un sentiment d’injustice. C’était injuste que les femmes soient privées de leurs libertés, de leurs choix… Ce qui me révolte maintenant encore beaucoup, c’est de voir des filles de 14 ans avorter ou de constater une recrudescence du Sida, alors qu’on a tout fait pour les protéger. Cela me rend malade.



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