Chanel, Saint Laurent, Jacquemus… les images des défilés de mode envahissent la Toile et notre imaginaire, cristallisant toute la magie de cet univers éphémère. Mais d’où provient ce rituel et que se passe-t-il vraiment lors d’un défilé ?
Grand-messe du style, le défilé de mode, est à l’origine, une présentation en chair et en os des dernières créations d’une maison à ses clients. On attribue cette cérémonie à Charles Frederic Worth, père également de la Haute Couture, qui se plaît à introduire ses nouveaux modèles sur des mannequins vivants dès les années 1850. La formule se répand et les réunions intimistes dans des salons parisiens s’étoffent jusqu’à devenir les super-productions d’aujourd’hui. Mais l’avènement du catwalk ne s’est pas fait en un jour. Alors que la guerre met en sourdine les défilés à Paris, l’attachée de presse américaine Eleanor Lambert enjoint les créateurs à présenter leurs collections et organise à New York la “Press Week” en 1943. L’idée séduit Florence, Londres puis Paris, évoluant en ce que nous connaissons aujourd’hui : la fashion week.
Les derniers défilés incontournables
Comment se déroule un défilé de mode ?
Avec l’émergence du calendrier officiel des défilés, l’exercice s’est formalisé. Les shows se succèdent dans une ville, à une heure d’intervalle, pour permettre aux invités, des professionnels (acheteurs, journalistes) et des célébrités, d’y assister. Bien que des efforts soient faits de ce côté notamment à Londres, les défilés ouverts au public lors de la fashion week n’existent pour ainsi dire pas.
Comme l’illustre la série documentaire de Loïc Prigent Le Jour d’Avant, où le journaliste s’infiltre dans les préparatifs des défilés, les maisons font attention à chaque détail pour que leur show devienne un spectacle mémorable. Collection évidement, mais aussi casting, musique, mise en beauté, lieu… tout est orchestré pour délivrer au mieux le message créatif de la saison. Derrière chacun de ces domaines méconnus du public opèrent des pointures telles que le Bureau Bétak (scénographie et production), Michel Gaubert (Mise en musique), Odile Gilbert (Coiffure)…
Au terme de mois de préparation, une fois le public installé, de longues minutes d’attente sont régulièrement observées. Elles permettent aux mannequins qui enchaînent les défilés d’être prêts et aux stars de la plus haute importance d’arriver. Les photographes expriment leur mécontentement mais vite, les lumières s’éclairent et la musique commence pour introduire le premier mannequin. La dernière silhouette est traditionnellement celle de la mariée en Haute Couture. Elle s’enchaîne avec le salut du créateur qui sonne le glas du défilé, rarement plus de 15 minutes plus tard.
Enchanter ou déranger, fasciner ou émouvoir, chaque défilé a sa stratégie pour marquer les esprits. Plus traditionnels quant il s’agit de la Haute Couture (collections de haut vol produites à la demande et sur-mesure) qui présente encore souvent ses créations dans ses salons parisiens (c’est le cas de Christian Dior), ils peuvent s’apparenter à un spectacle vivant ou même un happening. Parmi les défilés les plus attendus pour leur mise en scène, les shows Chanel et les métamorphoses du Grand Palais figurent en tête. L’escalade de l’extraordinaire a poussé Fendi à défiler sur la Grande Muraille de Chine, Louis Vuitton au Niterói à Rio, ou plus récemment Balmain sur une péniche sur la Seine.
Mais pour certains, le défilé est un terrain d’expérimentations. Martin Margiela au début des années 1990 invite le gotha mode dans des couloirs de métro ou sur un terrain vague, un décalage que prône aujourd’hui Demna Gvasalia ou Hood by Air. Un peu plus tard, Alexander McQueen imagine ses shows comme des satires bouleversantes, comme avec Horn of Plenty ou N°13. De nos jours, Alessandro Michele chez Gucci s’inscrit dans cette démarche. Lieux inattendus, décors spectaculaires, ambiance électrisante, l’imagination des maisons en la matière ne semble pas avoir de limite. Et pourtant.
La tradition du défilé en péril
C’est un rituel : pour la Haute Couture, les collections Croisière, le prêt-à-porter et même en guise de spectacle (On se souvient du défilé Saint Laurent d’ouverture de la finale de la Coupe du Monde 1998), le défilé s’impose dans la mode. Sauf qu’après des décennies d’hégémonie, son modèle est remis en question. Trop fréquents et trop onéreux, leur rythme est mis en cause par de nombreuses maisons. Sexistes, pas assez inclusifs, ils sont régulièrement pointés du doigts, au point même d’être déprogrammés, comme le défilé de lingerie Victoria’s Secret.
Pire cauchemar de industrie, à l’ère Covid, les fashion weeks sont annulées : à l’aube du confinement, l’édition de janvier milanaise aurait produit des “patients zéro” à Genève ou en Grèce, et les grands rassemblements ne sont plus d’actualité. Pour autant, la semaine de la haute couture digitale a prouvé que le défilé, même virtuel, n’était pas prêt de disparaître. Demain prendra-t-il la forme d’une expérience unique, taillée pour le relais des réseaux sociaux et réservé à une audience encore plus restreinte, comme l’a été le défilé Jacquemus dans les blés ?