Après le choc Gomorra, Roberto Saviano adapte cette fois son roman Piranhas, racontant l’histoire d’une bande de jeunes adolescents criminels sévissant dans les rues de Naples. Connaissez-vous le phénomène des “baby gangs” ?
Quand on évoque la mafia, l’adolescence n’est pas la première chose à laquelle on pense. Et pourtant, un phénomène inquiète de plus en plus l’Italie, et Naples en particulier, les baby gangs. Roberto Saviano, déjà auteur du best-seller Gomorra, adapté au cinéma par Matteo Garrone en 2008, s’attaque à ce problème dans Piranhas.
Au départ, Piranhas est un roman paru en octobre 2018 en France. L’adaptation cinématographique a été lancée quasiment dans la foulée, sous la direction de Claudio Giovannesi, jeune réalisateur italien doué pour metteur en scène les affres de l’adolescence. Pour s’en convaincre, il suffit de voir son fiévreux Fiore, suivant le parcours d’une petite délinquante.
Roberto Saviano a été frappé par le regard que Claudio Giovannesi portait sur les jeunes et la précarité dans ce film, une précarité des sentiments plus que matérielle. Leur incapacité à se projeter dans l’avenir. “C’était l’élément qu’il fallait absolument ajouter à mon analyse. Une approche émotionnelle qui montre qu’avant d’être des criminels, ces mafieux en herbe sont des jeunes qui ont opté pour la criminalité, et qui, par conséquent, ont cessé d’être des enfants et des adolescents pour devenir quelque chose d’autre.
Et ça, personne ne veut vraiment le comprendre, ni les familles, ni la communauté à laquelle ils appartiennent et encore moins la société civile, qui classe leurs existences parmi les effets indésirables d’une société qui ne peut pas tout contrôler. Ils sont victimes et bourreaux à la fois”, explique l’auteur.
Depuis Gomorra, Roberto Saviano, toujours menacé de mort par la Camorra (mafia napolitaine), n’a de cesse de combattre cette criminalité qui gangrène la société italienne. L’auteur a renversé les codes du film de mafia, délaissant les puissants parrains pour se concentrer sur les gens du peuple, les faibles qui essayent de survivre dans une ville corrompue. En plein coeur de cette lutte, les adolescents napolitains, fascinés par le crime, se sont glissés dans la brèche ouverte par le déclin du règne des “parrains”.
Les règles régissant ce monde du crime n’ont plus lieu d’être et ces jeunes hommes, assoiffés de pouvoir et d’argent, rejettent les vieilles coutumes. Dans leur univers, il n’y a plus aucun règlement, aucun code d’honneur. Pas question pour ces jeunes de faire profil bas, servir les vieux chefs, attendre patiemment leur tour pour goûter à la saveur du pouvoir. Ils veulent tout et tout de suite, sans attendre, sans cirer les pompes des dirigeants. Ils n’ont qu’une devise, “personne ne te donne rien, c’est à toi de prendre”. Et ils vont allègrement se servir, faisant fi de toutes notions de danger, mûs par l’adrénaline de l’adolescence.
Roberto Saviano résume très bien cette manière dont les jeunes voient les anciens, affirmant leur autorité avec un aplomb terrfiant : “Ce qui m’a toujours impressioné, c’est ce gosse qui défie qui défie un vieux boss de la Camorra. Il le menace en lui disant : Faut que tu quittes ce quartier ! Le boss regarde le gamin et lui répond : Tu crois vraiment que j’ai peur d’un gamin comme toi ? Et le gosse lui répond : Ça m’a pris 10 ans pour devenir un gamin, mais pour te buter, une seconde suffira.”
La vieille génération de criminels est soit en prison, soit en cavale, ce qui laisse le champ libre à ces baby gangs pour semer la terreur à Naples. Plus précisément, c’est dans le quartier de Forcella qu’ils sévissent le plus, dévorés par l’ambition et la violence, tels des piranhas croquant tout sur leur passage. La rage qu’ils ressentent n’a pas de limites, ils ne craignent rien, même pas la mort. Leur unique peur : mener une vie ordinaire comme leurs parents. Ainsi règne la loi du plus fort au sein des baby gangs.
Ce dramatique phénomène ne concerne d’ailleurs plus les adolescents de 13 ou 14 ans, mais commence désormais vers l’âge de 7, 8 ans. C’est pourquoi le gouvernement italien a pris très au sérieux l’ampleur du problème à cause de la recrudescence d’agressions violentes de la part de jeunes enfants. Roberto Saviano lui-même a été mis en cause dans l’émergence des baby gangs. Il a été accusé d’influencer ces jeunes via sa série Gomorra. L’écrivain s’est défendu ainsi : “Gomorra est tirée de la réalité, elle ne l’inspire pas. Ces enfants n’imitent pas Gomorra non plus, ils imitent la Camorra.” (Claudio Giovannesi a d’ailleurs mis en scène les épisodes 7 et 8 de la saison 2 du show.)
Cependant, cette délinquance juvénile faisant preuve d’une extrême brutalité n’est pas propre à l’Italie. Elle est présente dans de nombreux pays du monde et fait même son apparition dans l’Hexagone depuis quelques temps, notamment dans le Sud de la France. Des gangs de malfrats ados dépouillent des automobilistes, agissant en bande, attaquant une voiture à 10. Ils s’organisent sur la méthode à appliquer en utilisant des téléphones portables, repérant leurs cibles pour ensuite fondre sur elles et les voler.
“Plus qu’un film sur Naples ou sur l’Italie, il s’agit d’un film sur l’adolescence en Occident. Naples est un lieu où l’Etat, les institutions, l’éducation et la famille sont très lointains. Le choix criminel apparaît comme évident, facile. Plus que de pessimisme ou d’optimisme, il s’agit de raconter une réalité et à travers cette réalité, de raconter une humanité”, analyse Claudio Giovannesi.
À noter que la réalité a même rattrapé la fiction en avril 2019. Artem Tkachuk, jeune acteur interprétant un dealer de drogue dans Piranhas, a été agressé au couteau par un baby gang napolitain. Matteo Salvini, ministre de l’intérieur italien, a proposé une loi afin d’abaisser la responsabilité pénale de 14 à 12 ans, dans le but de lutter contre ce fléau. D’après l’Observatoire national de l’enfance et de l’adolescence, 6,5 % des jeunes napolitains font partie d’un baby gang.