Les bienfaits de l’hydroxychloroquine dans le traitement du Covid-19, aujourd’hui interdite en France, font toujours polémique. C’est quoi la chloroquine ? Quels sont les effets secondaires ? Que disent les études qui s’opposent aux thèses du Pr Didier Raoult ?
[Mise à jour le mercredi 9 septembre à 18h42] Autorisée aux patients atteints du coronavirus en France par un décret du 26 mars 2020, la chloroquine ou plutôt son dérivé l’hydroxychloroquine ne peut plus être prescrite dans cette indication en France depuis un décret du 27 mai 2020. Cette décision s’appuie sur une étude publiée dans The Lancet et sur l’Avis négatif rendu par le Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP) le 24 mai. L’étude en question a été dépubliée depuis.
La chloroquine est un médicament indiqué dans le traitement et la prévention du paludisme (malaria) mais aussi en rhumatologie et en dermatologie pour traiter la polyarthrite rhumatoïde et certains lupus. Elle existe sous forme de comprimés et s’administre par voie orale. La chloroquine est commercialisée seule sous le nom de Nivaquine® et en association avec du Proguanil chlorhydrate sous le nom de Savarine®. La chloroquine a été découverte en 1934 par des chercheurs allemands.
L’hydroxychloroquine est une molécule dérivée de la chloroquine dont la structure est chimiquement proche, les propriétés sont communes mais l’hydroxychloroquine ne possède pas d’indication dans le traitement du paludisme en France. Elle est utilisée depuis de nombreuses années dans le traitement de certaines pathologies auto-immunes sous le nom de Plaquenil®. Ce médicament est indiqué chez les personnes atteintes de polyarthrite rhumatoïde et de lupus érythémateux. On l’utilise aussi pour prévenir les allergies provoquées par le soleil (lucites). Il s’administre par voie orale et se présente sous forme de comprimé à prendre à la fin des repas. La posologie et la durée du traitement varient en fonction des troubles présentés. Ce médicament est contre-indiqué chez les enfants de moins de 6 ans, pendant l’allaitement et en cas de maladie de la rétine (rétinopathie).
La chloroquine ou son dérivé l’hydroxychloroquine a été autorisée en France aux patients Covid-19 par décret le 26 mars 2020 face à l’afflux de maladies dans les hôpitaux puis interdite le 27 mai 2020 dans cette indication. Depuis le début de l’épidémie, l’administration de ce médicament fait polémique. D’un côté le Pr Didier Raoult, infectiologue à Marseille, soutient ses bienfaits chez les patients Covid-19. De l’autre, des professionnels de santé préfèrent rester prudents à cause des lourds effets secondaires du médicament, notamment sur le cœur. L’essai Discovery lancé en mars en France et coordonné par l’Inserm sur 3200 malades du coronavirus en Europe dont 800 Français devait trancher sur la balance bénéfice/risque du traitement mais trop peu de pays ont finalement participé et aucune des conclusions attendues n’ont pu être publiées. Des chercheurs ont alors dévoilé une grande étude dans le Lancet le 22 mai concluant que l’hydroxychloroquine utilisée seule ou avec un macrolide n’avait pas d’avantage sur les résultats à l’hôpital pour COVID-19. Le lendemain, le Haut Conseil de la Santé Publique a émis un Avis défavorable sur l’utilisation de cette molécule dans le traitement du Covid-19. En réponse, le ministre de la Santé Olivier Véran a interdit la prescription de ce traitement dans cette indication le 27 mai. Quelques jours plus tard, le Lancet a dépublié ladite étude.
Les pour : que dit le Pr Didier Raoult ?
En France, le Pr Didier Raoult soutient l’usage de ce médicament chez les patients atteints de formes graves du coronavirus et a publié plusieurs études menées au sein de son Institut hospitalier à Marseille (IHU). Alors que l’hydroxychloroquine n’est plus autorisée en France aux patients Covid-19, il continue de l’administrer. Il l’a donné pour la première fois le 16 mars 2020 à 20 patients malades de son service à raison de 600 mg d’hydroxychloroquine par jour associés à de l’azithromycine (antibiotique de la famille des macrolides). Six jours après, l’infectiologue indiquait que seuls 25 % d’entre eux étaient encore porteurs du virus, quand 90% de ceux qui n’avaient pas reçu le traitement étaient toujours positifs. “Notre enquête montre que le traitement par l’hydroxychloroquine est significativement associée à la réduction/disparition de la charge virale chez les patients COVID-19” expliquait-il dans ses conclusions. Le 27 mars, il publiait de nouveaux résultats sur 80 patients Covid-19 confirmant “une amélioration clinique chez tous les patients de 86 ans”. Puis une troisième étude qu’il a présenté au Président de la République Emmanuel Macron le 9 avril confirmant sur une cohorte de 1061 patients COVID-19 que l’association Hydroxychloroquine-Azithromycine (HCQ-AZ) permet une “guérison virologique” sur 973 d’entre eux et “aucune toxicité cardiaque” selon le Pr Raoult. “Cela évite l’aggravation de la maladie et élimine la persistance et la contagiosité du virus dans la plupart des cas”. Et le 27 mai, il publie une nouvelle étude menée sur une cohorte de 3 737 patients : “Dans notre institut de Marseille, en France, nous avons proposé un dépistage précoce et massif de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19), rappelle-t-il dans sa publication. Une hospitalisation et un traitement précoce à l’hydroxychloroquine et à l’azithromycine (HCQ-AZ) ont été proposés pour les cas positifs.” Résultat : “Un diagnostic précoce, un isolement précoce et un traitement précoce avec au moins 3 jours de HCQ-AZ se traduisent par des résultats cliniques et une contagiosité significativement meilleurs chez les patients atteints de COVID-19 que les autres traitements.”
Plusieurs études publiées dès le début de l’épidémie de coronavirus ont aussi confirmé l’efficacité de la chloroquine sur les cas Covid-19 :
• Un article paru dans le journal Cell Research le 4 février a démontré que ces molécules empêchaient les étapes d’entrée et de sortie du virus Sars-CoV-2 dans des cellules cultivées in vitro (dans un tube), stoppant ainsi efficacement sa réplication et sa propagation.
• Plusieurs essais cliniques chinois ont aussi prouvé leur bonne tolérance.
• Le 19 février, les auteurs d’une lettre publiée dans Bioscience Trends ont mentionné une apparente efficacité et une tolérance acceptable de ce traitement aux vues des données, encore non publiées, de 15 études cliniques dans 10 hôpitaux de Wuhan, Jingzhou, Guangzhou, Beijing, Shanghai, Chongqing, et Ningbo.
Les contres : l’essai Recovery, l’étude du Lancet finalement dépubliée
• Le 5 juin, les auteurs de l’essai Recovery au Royaume-Uni rassemblant plus de 11 000 patients ont décidé de ne pas recruter de nouveaux sujets pour tester les effets de l’hydroxychloroquine. A cette date, 1 542 patients avaient reçu la molécule, comparés à 3 132 patients ayant bénéficié d’une prise en charge standard. “Nous avons conclu qu’il n’y a pas d’effet bénéfique de l’hydroxychloroquine chez les patients hospitalisés avec le Covid-19”, ont indiqué les chercheurs dans un communiqué. “C’est décevant mais cela nous permet de nous concentrer sur les soins et la recherche sur des médicaments plus prometteurs“, a poursuivi Peter Horby, principal responsable de l’essai.
• Dans l’étude du Lancet publiée le 22 mai “chacun des schémas thérapeutiques était associé à une diminution de la survie à l’hôpital et à une fréquence accrue des arythmies ventriculaires lorsqu’il était utilisé pour le traitement de COVID-19″ indiquent les auteurs. Pour parvenir à cette conclusion, ils ont analysé l’utilisation de l’hydroxychloroquine ou de la chloroquine avec ou sans macrolide pour le traitement de COVID-19 auprès de 671 hôpitaux sur 6 continents. Ils ont inclus des patients hospitalisés entre le 20 décembre 2019 et le 14 avril 2020, avec un résultat de laboratoire positif pour le SRAS-CoV-2. 96 032 patients (âge moyen 53 ans, 3% de femmes) avec COVID-19 ont été hospitalisés pendant la période d’étude et répondaient aux critères d’inclusion. 14 888 patients étaient dans les groupes de traitement et 81 144 dans le groupe témoin. The Lancet a annoncé, jeudi 4 juin, le retrait de l’étude dans ses colonnes. Le New England Journal of Medicine (NEJM) -autre revue médicale renommée – a fait de même pour un article publié le 1er mai qui déclarait que la prise de traitements antihypertenseurs n’avait pas d’influence sur la gravité du Covid-19. Dans les deux cas, l’auteur principal de l’étude était Mandeep Mehra (Harvard Medical School) et les données provenaient de Surgisphere.
• En avril, une étude américaine avait poussé le ministre de la Santé Olivier Véran à appeler à “beaucoup de prudence” concernant la chloroquine contre le coronavirus : “Les dernières publications ne sont pas en faveur de l’utilisation en pratique courante de ce traitement en mono ou bithérapies, associé à l’azithromycine” avait-il déclaré le 22 avril lors des questions au gouvernement. L’étude américaine a été menée sur 368 patients hospitalisés pour une infection par le Sars-CoV-2. Ils ont été classés en fonction de leur exposition à l’hydroxychloroquine seule (HC) ou avec l’azithromycine (HC + AZ) comme traitements en plus de la prise en charge standard de soutien pour Covid19. L’efficacité du traitement à base de chloroquine a été évaluée selon deux critères : le décès et la nécessité d’une ventilation mécanique. Verdict : “Nous n’avons trouvé aucune preuve que l’utilisation de l’hydroxychloroquine, avec ou sans l’azithromycine, pour réduire le risque de ventilation mécanique chez les patients hospitalisés avec Covid-19″ indiquent les scientifiques. De plus “une augmentation de la mortalité globale a été identifiée chez les patients traités par l’hydroxychloroquine seule. Ces résultats soulignent l’importance d’attendre les résultats d’études prospectives, randomisées et contrôlées en cours avant l’adoption généralisée de ces médicaments” ont-ils estimé. Le Pr Raoult a déconcé les “trois biais majeurs qui invalident ses conclusions, de toute manière absurdes et incompatibles avec la littérature” sur son compte Twitter le 22 avril et expliqué dans une lettre ces biais.
La chloroquine n’agit pas directement sur le virus, mais sur les cellules infectées elles-mêmes par le virus, en diminuant leurs capacités infectieuses. Elle pourrait également avoir un effet négatif sur la liaison entre le virus et son récepteur sur les cellules à infecter. Après une prise orale, la chloroquine est absorbée au niveau de l’intestin grêle de façon rapide et pratiquement complète. Le pic de concentration dans le sang est atteint en moyenne entre 2 et 6h après la prise.
Contre le paludisme, le traitement préventif à base de chloroquine doit débuter le jour du départ vers une zone affectée par la maladie. Il doit être maintenu pendant toute la durée du séjour jusqu’à la fin du voyage, y compris pendant les 4 semaines suivantes. La dose recommandée dépend de l’âge et du poids du sujet. Concernant le coronavirus, le Pr Raoult l’avait administrée à raison de 600mg par jour dans son essai.
>> Voir la posologie de la Nivaquine
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Les effets indésirables de la chloroquine (donc de ses médicaments Nivaquine® et Plaquenil® quand il s’agit de l’hydroxychloroquine) sont nombreux :
- des troubles digestifs avec nausées, vomissements et diarrhées ;
- des réactions allergiques ;
- des insomnies, une dépression, agitation, anxiété, agressivité, troubles du sommeil, confusion, hallucination.
- des maux de tête, des étourdissements, convulsions ;
- des troubles de la vue avec une vision floue. De rares cas de rétinopathies liées à l’accumulation de la molécule ont été observés.
- des démangeaisons.
- des douleurs locales, ressemblant à des brûlures, picotements, ou décharges électriques au niveau des mains et des pieds.
- des hypoglycémies (d’où une méfiance de rigueur chez les patients diabétiques)
- des affections hépatobiliaires : hépatite survenant notamment chez les patients porteurs d’une porphyrie cutanée tardive.
Le chloroquine peut entraîner des arythmies et cardiomyopathies.
Mais aussi et c’est ce qui inquiète beaucoup : des effets cardiovasculaires. En 2004, des chercheurs de Toulouse avançaient que la chloroquine, antimalarique le plus utilisé au monde, était à l’origine d’intoxications aiguës graves surtout dans les zones touchées par le paludisme, plus rarement en Europe. “Leur sévérité est essentiellement liée aux troubles cardiovasculaires provoqués par son action quinidine-like” arguaient-ils. Ce qui veut dire que la chloroquine agit comme la quinidine, un médicament qui a la même action qu’un antiarythmique. Elle peut alors entraîner des troubles de la conduction. Des cas d’arythmies graves ont été rapportés lors de surdosage mais aussi à dose thérapeutique. Ces molécules peuvent aussi provoquer des cardiomyopathies (maladies touchant le muscle cardiaque). Les symptômes devant faire suspecter une arythmie sont des étourdissements, ou des palpitations d’apparition récente. Enfin, l’hydroxychloroquine et la chloroquine sont des médicaments dits “ à marge thérapeutique étroite ”, ce qui signifie que la dose efficace et la dose toxique sont relativement proches. En cas de surdosage ou de mauvaise utilisation, ils sont hautement toxiques.
La chloroquine est commercialisée sous plusieurs noms, notamment Nivaquine®. Nivaquine® est un médicament utilisé pour le traitement préventif et curatif du paludisme. Il est également prescrit en rhumatologie et dermatologie pour des maladies chroniques. Ses indications sont :
- le traitement préventif et curatif du paludisme ;
- la polyarthrite rhumatoïde en traitement au long cours ;
- les différentes formes de lupus érythémateux (maladie auto-immune) ;
- la prévention des lucites.
Les doses administrées sont variables en fonction des indications. Les comprimés doivent être pris de préférence après les repas du matin ou du midi, en raison des risques de troubles digestifs ou d’insomnie.
De nombreuses interactions médicamenteuses existent avec les médicaments à base de chloroquine comme le Nivaquine®. Il faut en tenir compte avant la prescription. Il est également nécessaire de faire une surveillance ophtalmologique rapprochée chez les patients traités au long cours. Un contrôle régulier des fonctions hépatiques et rénales est recommandé.
Les principales contre-indications à l’utilisation de la chloroquine sont :
- l’hypersensibilité à la chloroquine ;
- les affections de la rétine (rétinopathies) ;
- l’allergie au gluten (maladie cœliaque).
- Allaitement, grossesse.
Grossesse
Les données d’exposition actuellement disponibles n’ont pas mis en évidence de risques de malformations foetales avec la chloroquine mais il existe un risque génotoxique potentiel (lésions dans l’ADN qui peuvent entraîner des mutations). L’utilisation de la chloroquine et de l’hydroxychloroquine est ainsi déconseillée pendant la grossesse, à moins que la situation clinique justifie l’utilisation du traitement au regard des risques potentiels encourus pour la mère et le fœtus.
Il faut également prendre en compte certaines interactions médicamenteuses (listées par l’Agence nationale du médicament) avant de prescrire de la chloroquine, en raison de la survenue possible de troubles cardiaques graves :
→ Associations contre-indiquées avec le citalopram ou l’escitalopram, la dompéridone, l’hydroxyzine ou la pipéraquine.
→ Associations déconseillées avec les anti-arythmiques de classe IA et III, les antidépresseurs tricycliques, les antipsychotiques et certains anti-infectieux (macrolides, fluoroquinolones). L’association de chloroquine ou d’hydroxychloroquine avec l’azithromycine est susceptible d’exposer les patients à des troubles du rythme cardiaques d’où la prudence de certains spécialistes sur les essais du Pr Raoult chez les patients Covid-19 positifs.
La chloroquine et l’hydroxychloroquine sont deux médicaments disponibles en France uniquement sur prescription médicale (Liste II).
Le Nivaquine 100 mg – 2 plaquettes de 10 comprimés – est vendu 3,16 euros et remboursé à 65%.
Le Plaquenil 200 mg – 30 comprimés est vendu 5,19 euros et remboursé à 65%.
Sources :
- Targeting Endosomal Acidification by Chloroquine Analogs as a Promising Strategy for the Treatment of Emerging Viral Diseases Md Abdul Alim Al-Bari PMID: 28596841 PMCID: PMC5461643
- Remdesivir and chloroquine effectively inhibit the recently emerged novel coronavirus (2019-nCoV) in vitro PMID: 32020029
- Breakthrough: Chloroquine phosphate has shown apparent efficacy in treatment of COVID-19 associated pneumonia in clinical studies.
- Expert consensus on chloroquine phosphate for the treatment of novel coronavirus pneumonia PMID: 32075365
- Chloroquine et hydroxychloroquine; Point d’information à destination des professionnels de santé; Réseau français des Centres régionaux de Pharmacovigilance – 22 mars 2020;